Ruralité et TID : Introduction | Les pionniers | Cristallisation du concept | Les espaces ruraux | Les TID en BFC | Evaluer un projet TID

Victor VILA

Ruralité et Territoires Intelligents
2. L'enquête de 2015 dévoile les premiers projets

Les projets pionniers

Pour analyser les projets réalisés dans la première partie des années 2010 on va prendre appui sur l'enquête réalisée en 2015 par la Banque des Territoires qui a donné lieu au « Guide Smart City versus Stupid Village »

Cette étude vise notamment à appréhender les attentes et les enjeux des villes de 8 000 à 25 000 habitants et de leurs intercommunalités et s'appuie sur :

  • Une enquête quantitative menée auprès de 64 EPCI et 20 villes, qui a permis d’identifier leurs objectifs métiers prioritaires et leur perception du numérique ;
  • ~30 entretiens auprès d'experts pour identifier les solutions numériques et les freins aux déploiements ;
  • Ateliers de travail avec 10 collectivités pour identifier des pistes d’actions réalistes.

Les projets pionniers

Année Collectivité Description du projet
2010 Communauté de communes de Freyming-Merlebach Généralisation sur l'ensemble des communes d'un système de "puçage" des bacs associé à une redevance incitative variable en fonction de la fréquence de présentation des bacs.
2011 Communauté de communes du Pays de Lourdes Mise en place d'un système numérique d’alerte des crues dans le cadre d’un plan communal sauvegarde inondations.
2011 Communauté de communes du Pays de Landerneau-Daoulas Utilisation d'un logiciel de multi-tarification de l’eau afin d’uniformiser le rapport qualité/prix sur l’ensemble des communes.
2012 Communauté d'agglomération du Pays de l'Or Mise en place d'un système de comptage électronique à base de capteurs placés sur le réseau d'eau.
2012 Communauté de communes de Vitry, Champagne et Der Mise en place d'un système de télé-relève du réseau d'eau.
2013 Commune de Saint-Omer Installation d'un système d’éclairage intelligent, d'un réseau WIFI public, de mobilier connecté et de pavés de récupération énergétique.
2013 Commune de Tulle Mise en place d'un éclairage modulable à distance grâce à une "box" reliée au réseau de fibre de la ville.
2013 Communauté de communes de Caux-Vallée de Seine Développement d'une solution de géolocalisation des camions poubelles et de remontée d’informations.
2013 Communauté de communes de Freyming-Merlebach Généralisation d'un système de pesée numérique et de facturation informatisée des colonnes à verre.
2013 Commune de Castelnaudary Mise en place d'un système de modulation de l'éclairage à distance pour réduire la facture d'électricité publique.
2014 Communauté de communes de Vitry, Champagne et Der Lancement d'un projet de pilotage GTC/GTB pour la soixantaine de bâtiments publics, avec installation de compteurs intelligents.
2015 Communauté d'agglomération de Saintes Equipement des bus d'une solution de géolocalisation basée sur les données du téléphone mobile.

Les thématiques des projets pionniers

Guide Smart city vs Stupid village

Nb projets Thématique Projets
4 projets Gestion de l'eau et assainissement Systèmes de comptage et de télé-relève de l'eau, pilotage des stations d'épuration, gestion multi-tarification de l'eau.
3 projets Gestion des déchets Systèmes de pesée et identification des bacs, géolocalisation des camions de collecte.
3 projets Éclairage public Modulation de l'éclairage à distance, systèmes d'éclairage intelligent.
2 projets Environnement et risques Systèmes d'alerte aux crues, surveillance environnementale.
2 projets Transports Géolocalisation des véhicules, information multimodale.
2 projets Bâtiments publics Pilotage GTC/GTB, systèmes de télésurveillance des consommations énergétiques.

Zoom projet

Saint-Sulpice-la-Forêt (35)

  • Habitants : 1 500
  • Densité : 223 hab./km2
  • Espace rural : Oui
  • Pôle d'emploi : Rennes (22 km)

Projet
Economies de consommation d'éergie dans les bâtiments municipaux

Coût
20 000 euros pour l'achat de capteurs et d'infrastructures (Wi6labs et Alkante)

Contexte

Constatant une forte augmentation des factures énergétiques sur la période 2006-2014,l’équipe municipale avait décidé de mettre en place une solution innovante lui permettant de baisser d’au moins 20 % ses dépenses en énergie sur les bâtiments communaux.

Objectifs

  • Déployer sur 6 bâtiments (mairie, salle polyvalente, groupe scolaire, salle des sports, atelier communal) de la commune un réseau de capteurs centralisé (LoRa) ;
  • Disposer d’indicateurs de consommation en temps réel ;
  • Identifier les fuites, ou les dysfonctionnements le plus rapidement possible ;
  • Informer les agents et usagers de l’impact de leurs actions sur la consommation des bâtiments afin d’adapter les comportements.
  • Piloter le chauffage des équipements communaux en fonction de leur usage.

Portail avec données en libre accès
Un site Internet ouvert permet de suivre la consommation de chaque bâtiment en temps réel. (Il faut passer par https://saint-sulpice-la-foret.fr/ > Vie des habitants > Portail Smart)

Les constats identifiés par l’enquête de 2015

#1 "Le numérique est une priorité certes, ... mais nous ne savons pas comment nous en servir"

Bien que les petites villes et intercommunalités déclarent à 80-90% que le numérique représente une priorité, elles ont du mal à imaginer concrètement comment les services peuvent être améliorés par les innovations numériques et quels nouveaux usages peuvent être développés.

Près de 40 % des EPCI questionnées déclarent qu’il existe « peut-être des produits ou solutions numériques susceptibles d’accompagner les priorités de leur collectivité », mais sans être capables de les identifier.

#2 Une réflexion limitée aux infrastructures

Le numérique est enfoui, souvent réduit à sa dimension infrastructurelle et rarement pensé comme un outil de productivité ou d’efficacité. Ce qui rend d’autant plus difficile l’amélioration des services.

Conséquence de cette absence de perception : la stratégie sur le numérique reste aléatoire et opportuniste ; elle se construit plutôt à partir d’une collection de projets mais dans une approche métier cloisonnée, sans lien avec les autres, ce qui a des conséquences sur l’approche des services : on se limite à assurer la continuité du service et il n’y a pas d’effet disruptif qui conduirait à le repenser dans une optique d’innovation.

#3 Des dispositifs au coup par coup

Conséquence directe du point précedent, le déploiement des solutions numériques dans les petites collectivités se fait de manière aléatoire et au coup par coup, en fonction d'objectifs métiers particuliers, plutôt que sur la base d'une stratégie numérique d'ensemble identifiant des priorités.

L’élément déclencheur du processus peut avoir des origines variées : l’initiative réussie d’une commune voisine par effet boule de neige, la proposition d’un opérateur de service urbain ou d’un syndicat mixte, dans le cadre de la renégociation d’un contrat ou encore l’annonce de mécanismes incitatifs initiés nationalement ...

Ainsi, la plupart du temps, les propositions qui emportent la décision n’induisent pas de ruptures profondes qui conduiraient à repenser le service en profondeur. Il s’agit plutôt d’optimiser la qualité ou de réduire les coûts du service, dans une logique de continuité : par exemple lors du remplacement de bacs poubelles vieillissants ou dans le cadre d’une opération d’optimisation de la consommation énergétique.

#4 Absence de visibilité sur le rapport coût-bénéfice des solutions

A la question « Quels sont selon vous les freins aux projets numériques que vous avez évoqués ? » les collectivités répondent quelles ont :

  • Une capacité d’investissement limitée
  • Des incertitudes sur les ROI qui restent méconnus ou encore à démontrer par métier et à l’échelle du territoire.

Ce sont en effet des sources d’inquiétudes pour les responsables des EPCI car si les collectivités semblent assez bien connaître le montant des investissements et les coûts d’exploitation, elles disposent plus rarement des éléments d’appréciation sur les gains réellement apportés par le service mis en œuvre.

#5 Incertitudes sur l’interopérabilité des systèmes dans des environnements hétérogènes

Les freins de nature technologique se manifestent avec les problématiques de compatibilité des technologies et les risques d’obsolescence rapide. A cela s'ajouter l’émiettement des compétences qui peut empêcher à la collectivité d’avoir la maîtrise complète du service.

Exemple : la présence de modes de gestion ou de délégataires différents sur les réseaux d’eau peut freiner la mise en place de systèmes de télégestion. La CC de Vitry, Champagne et Der n’est parvenue à mettre en place la télégestion de son réseau d’eau que sur 32 des 35 communes, trois relevant d’un autre syndicat des eaux et d’un autre système.

#6 Résistance au changement

Ce frein est généré par ce que certains appellent « l’aversion au risque politique ». Ainsi le défaut de confiance de la part de la population, des agents ou des élus est un sujet assez souvent cité dans les réponses à l'enquête, avant même les freins relatifs à la géographie ou à la topologie des lieux.

#7 Déficit de structures et de compétences sur le numérique

Les freins liés aux besoins en ingénierie et compétences internes sont régulièrement cités dans l'enquête. Celle-ci montre qu'au niveau de EPCI :

  • 44 % ont mis en place des parténariats avec le Conseil régional ou le Conseil départemental
  • 16 % ont élaboré une stratégie numérique
  • 14 % ont créé une structure dédiée au numérique
  • 13 % disposent d'un budget spécifique
  • 9 % ont dispensé une formation aux agents et élus sur les sujets numériques

#8 Une offre de produits diversifiée, mais encore peu adaptée

L’offre de solutions numériques existe bien, mais elle ne semble pas encore être suffisamment adaptée aux petites communes. Les industriels semblent moins intéressés par ce marché que par celui des métropoles et des grandes agglomérations, à l’exception des opérateurs de services urbains.

Ainsi parmi le panel d’acteurs industriels interrogés, plus de 70 % reconnaissent cibler principalement les villes moyennes et grandes (dont 30% en priorité les grandes métropoles), 22 % ciblent l’ensemble des villes quelle que soit leur taille et 7 % seulement font des petites villes, leur « cœur de cible ».

« Notre service étant basé sur un pourcentage de la transaction, l’offre est donc focalisée sur les gros volumes », explique par exemple un opérateur. « Notre actionnariat demande des résultats à six mois, échéance incompatible avec ce type de cible », commente un autre. Ainsi pour la plupart des industriels, la barre se situe autour de 50 000 habitants, voire 100 000 habitants. En-deçà, les coûts d’investissement et de conquête commerciale apparaissent trop élevés au regard des retombées attendues en termes de rémunération et de visibilité.

En outre, la maturité des petites collectivités aux questions numériques paraît encore trop limitée au regard des résultats espérés.

Atelier

Faites 2 équipes et imaginez des solutions aux problèmes constatés par l'étude

  1. Nous ne savons pas nous servir du numérique
  2. Réflexion limitée aux infrastructures
  3. Des dispositifs au coup par coup
  4. Absence de visibilité sur le rapport coût-bénéfice des solutions
  5. Incertitudes sur l’interopérabilité des systèmes
  6. Aversion au risque politique
  7. Déficit de structures et de compétences
  8. Offre peu adaptée aux petites collectivités

Les conclusions de l'enquête :
les facteurs clés de la modernisation et de l’innovation

#1 Aligner priorités métiers et projets numériques

Il faudrait encourager les petites collectivités à adopter une stratégie numérique globale. La ville pourrait par exemple se fixer des objectifs de modernisation des services urbains. Pour les accompagner, des guides méthodologiques d’intégration d’objectifs numériques dans les schémas de planification stratégique locaux, ou encore des kits de mesure d’impacts du numérique pourraient être mis à leur disposition.

Il serait également bénéfique que les petites villes et EPCI soient plus étroitement associés aux débats autour du numérique, ou disposent de sources d’informations régulières (diffusion de kits méthodologiques, notes d’impact) sur les évolutions réglementaires et les nouvelles solutions numériques pouvant y répondre

#2 Diffuser les dispositifs d’aide au financement

Les petites collectivités sont éligibles à différents dispositifs de soutien financier mais le plus souvent, elles ne les connaissent pas ou pas suffisamment ; ou ne disposent pas des compétences pour les solliciter. Les aider à identifier les fonds en faveur du développement numérique (notamment européens) auxquelles elles peuvent prétendre s’avère nécessaire.

Cela pourrait prendre, par exemple, la forme de guides méthodologiques. De même il serait utile de mettre en place des mécanismes d’aide pour la constitution des dossiers.

#3 Mutualiser l’information et les achats

Il est fondamental pour les collectivités de pouvoir mesurer l’ampleur des coûts, mais aussi le retour sur investissement (ROI). Pour cela, il serait bénéfique que ces collectivités puissent disposer d’études de référence et de méthodes d’évaluation : outils de calcul de ROI (calcul et simulation), analyses d’impact (territoires et usagers), bilans financiers, économiques et sociaux des services numériques au service des politiques publiques, etc.

Mutualiser constitue une autre réponse aux problèmes de financement. La mutualisation peut se situer à différents niveaux :

  • sensibilisation,
  • ingénierie et conception,
  • achat,
  • exploitation,
  • financement, etc.

Les collectivités pourraient ainsi partager leurs expériences passées, mais aussi lancer des procédures d’achats publics ou d’appels à projet communes, etc. Il semble donc important de mener au préalable des études sur les structures de mutualisation et de partenariats existantes ou potentielles dans le domaine du numérique.

#4 Améliorer les compétences internes

On l’a vu, le déficit de connaissance des élus et décideurs locaux des solutions numériques représente un frein important. À peine 50 % d’entre eux connaissent les solutions susceptibles de répondre à leurs attentes en termes de service.

Parfois la solution est déjà en place, mais ignorée des décideurs car intégrée aux prestations des exploitants. Il est donc indispensable d’assurer d’une part l’information des élus et décideurs et former en parallèle des cadres et agents pour concevoir et piloter les nouveaux services issus du numérique.

#5 Assurer l’interopérabilité entre solutions

Les dispositifs numériques existants ont souvent été déployés de façon fragmentée, au fur et à mesure des besoins des collectivités. Cela génère un effet d’empilement couteux et inefficace.

Il s’agit donc de favoriser l’interopérabilité des solutions par le biais d’interfaces d’échanges de données (ex. avec les Interfaces de programmation – API) et développer des règles de standardisation et de normalisation.

(N.B. : les API assurent l'échange de données mains ne garantissent pas l'interopérabilité)

#6 Assurer la confiance des utilisateurs

Il est indispensable de veiller à l’acceptabilité par la population des solutions envisagées. En effet la mise en place de villes et territoires intelligents implique la collecte, le traitement et l’utilisation d’une multitude de données.

Ce sujet renvoie également à la gouvernance territoriale / au choix de gestion de ces données / à la propriété de ces données dans le cadre de la commande publique et des partenariats publics privés (au sens générique). Il convient donc de réintroduire une réflexion sur les principes et moyens d’assurer un usage plus ouvert des données. Le risque est grand sinon que l’absence de dispositif de protection ne constitue un frein au numérique.